L'auberge du port fluvial

*La porte s'ouvrit brusquement et Aënor pénétra dans la salle sombre et pratiquement vide de clientèle. Tant mieux, elle n'avait pas envie d'assister à une nouvelle bagarre de nains. S'ébrouant à la manière des fauves pour chasser les gouttelettes de pluie qui la recouvrait, Aënor pénétra dans l'auberge d'un pas assuré bien qu'elle ne connaisse pas le lieu.

Après tout, toutes les auberges sont les mêmes...
Et effectivement, un comptoir l'attendait au fond de la salle. Usé et d'une propreté douteuse, il était flanqué de deux escaliers. A gauche celui qui menait aux chambres à l'étage; à droite, comme on pouvait s'y attendre, celui qui menait aux caves où les réserves étaient entreposées. Derrière le bar, une porte à doubles battants donnant accès aux cuisine.

C'est qu'on peut avoir faim lors qu'on débarque du fleuve.
C'était d'ailleurs le cas d'Aënor qui venait de débarquer, après un périple aussi ennuyant que vide de distractions, passé à regarder le paysage défiler tandis que des trombes d'eau lui tombait sur le dos. Elle aurait pu aller s'abriter dans la timonerie de la péniche sur laquelle elle s'était embarqué. Mais le chef n'aurait surement pas apprécié et l'aurait transpercé de multiple coups de dagues avant de penser à lui demander ce qu'elle faisait embarquée sur son bateau en plein milieu du fleuve.
Pour faire simple, Aënor n'avait pas envie de payer une fortune lorsqu'elle pouvait voyager gratuitement. A la faveur de la nuit elle s'était donc mêlée aux tas de charbon, se couvrant de poussière noire de la tête aux pieds. La pluie l'avait d’ailleurs bien embêté, le noir n'arrêtait pas de dégouliner. D'un autre côté, aucune personne raisonnable n'avait envie de sortir faire un tour par ce temps là. Les matelots étaient donc restés à distance et elle était arrivée en même temps que le reste du convoi.
Et tandis que tout le monde était occupé à passer la douane et à prouver sa bonne foi et son identité, Aënor s'était éclipsée discrètement sans même un merci ou un au revoir.

Elle avait profité de la pluie pour éliminer un maximum de trace de charbon de ses vêtements puis elle s'était recouverte de sa cape restée propre. Finalement elle s'était mise en quête d'un endroit où remplir son estomac qui en avait largement besoin.

Elle s'approcha de l'aubergiste et passa commande:*

Bien le bonsoir! Un plat du jour, une miche de pain et, en attendant, un fond d'hydromel s'il vous plaît.

*Un regard dans la salle*

Il vous en reste au moins j'espère!

*Le tavernier bavard de répondre:*

Ah ça, ce sale temps, on pourrait penser que ça ferait venir le client mais non. Pas aujourd'hui vous voyez gente dame. Aujourd'hui y a représentation sur la place du marché. Toute la populace est là bas. D'ailleurs ils doivent être bien trempé, haha. P'têtre bin qu'ils viendront ici après.
Bon, je vais vous commander ça.

*Il disparait derrière les portes de la cuisine et revient avec la miche de pain*

Voici. Ce sera ragout de trois jours ça vous va j'espère.
Attendez, je vous sert vot'verre.
Alors, que fait quelqu'un comme vous dans un tel lieu? On n'voit pas beaucoup de représentants du beau peuple se promener seuls par ici ces derniers temps.

*Son regard est plein de sous-entendus et Aënor a envie de lui planter une dague dans la main pour qu'il arrête de poser des questions et lui apporte son ragout au plus vite. Le voyage a duré plus longtemps que prévu à cause du mauvais temps et ses dernières provisions, déjà maigres, n'ont pas tenues jusqu'au bout. Les elfes peuvent certes tenir sans manger mais il ne fallait pas abuser et Aënor ne refusait jamais l'occasion d'un bon repas.

Elle se retint donc d'amputer l'aubergiste en se disant qu'il devait lui aussi avoir passer une mauvaise journée. Et dans un joli sourire, elle répondit, charmeuse:

Ma présence ici doit rester la plus discrète possible. Voyez vous, je suis recherchée par une bande de malfrats qui veulent ma peau. J'ai fuis ma demeure avec seulement ce que je porte sur moi. Ma famille a été massacrée alors que je revenais de la chasse. J'ai marché longtemps et longé le fleuve pour arriver ici.
Je compte me rendre à la capitale, trouver une activité quelconque en attendant que l'on m'oublie. Vous savez, moins vous en savez mieux c'est pour vous... Je ne voudrais causer de tors à qui que ce soit

*Nouveau sourire, un peut triste mais tout aussi joli. Au moins elle avait justifié sa tenue de chasse et la présence de son grand arc dans une cité commerçante.*

*Elle se saisit de son verre, de sa miche de pain et va s'asseoir à une table non loin, attendant que le ragout lui soit apporté.
Elle espère que l'aubergiste sera assez impressionné pour ne pas lui poser plus de questions. Et pour la croire aussi*.